Convention européenne des droits de l’homme : une protection fondamentale en danger

La réunion ministérielle du 10 décembre à Strasbourg marque une nouvelle étape dans les tentatives de plusieurs États européens d’affaiblir le système de protection des droits humains sur le continent. Une tendance qui devrait tous nous alarmer.

Un tournant préoccupant

Les ministres de la Justice du Conseil de l’Europe ont adopté des conclusions appelant à une déclaration politique pour répondre aux prétendus « défis » posés par la migration. Derrière ce langage diplomatique se cache une réalité inquiétante : la volonté de réduire les protections offertes par la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).

Cette réunion n’est pas un événement isolé. Elle s’inscrit dans une série d’attaques menées depuis plusieurs mois contre le système de la Convention. Présentées comme un moyen de protéger la « sécurité nationale » ou la « sécurité publique », ces tentatives de réforme n’atteindront pourtant aucun de ces objectifs.

Lorsque des responsables politiques affirment que le niveau de protection doit être « adapté à une nouvelle ère », ils ne procèdent pas à un simple ajustement technique. Ils remettent en question les fondements moraux sur lesquels reposent nos sociétés démocratiques — et glissent vers une vision du monde où certaines vies seraient considérées comme moins dignes que d’autres.

Une stratégie tirée du manuel des autoritaires

Le schéma est malheureusement bien connu : pour apaiser les mouvements hostiles aux droits humains, des responsables politiques font des migrants et des réfugiés des boucs émissaires. Cette stratégie reflète une tendance persistante et erronée à rendre les politiques migratoires toujours plus punitives et restrictives, tout en tolérant — voire en encourageant — la violence et les abus aux frontières.

Les États utilisent ainsi la migration comme prétexte pour remettre en question leur engagement envers les principes fondamentaux qui façonnent nos sociétés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Or, la CEDH a toujours su trouver un équilibre entre le droit légitime des États à gérer les flux migratoires et les droits fondamentaux des personnes qui migrent ou demandent l’asile. Elle reste parfaitement en mesure de le faire aujourd’hui. Ce qui a véritablement changé, ce n’est pas l’inadaptation de la Convention, mais bien le niveau de cruauté des politiques migratoires européennes et la gravité des abus commis à l’encontre des personnes en mouvement.

Des droits conçus pour les temps difficiles

Il est essentiel de rappeler une vérité fondamentale : les droits humains n’ont jamais été pensés uniquement pour les périodes de calme et de prospérité. Ils ont été rédigés précisément pour des moments comme celui-ci — quand la politique de division gagne du terrain, quand la tentation du bouc émissaire grandit, quand la compassion est présentée comme une faiblesse ou une naïveté.

Ces protections existent pour nous empêcher de répéter les pages les plus sombres de notre histoire. Elles constituent un garde-fou contre les dérives que l’Europe a connues au siècle dernier, et dont les cicatrices sont encore visibles.

Toute tentative d’affaiblir la Convention européenne n’est pas seulement une menace pour les migrants — c’est une atteinte à l’ensemble de nos droits.

Ce qui est concrètement en jeu

Permettre aux États de se soustraire à leurs obligations en matière de droits humains aurait un coût considérable. Plusieurs protections essentielles sont directement menacées.

Le principe de non-refoulement constitue l’un des piliers du droit international. Cette garantie absolue interdit de renvoyer quiconque vers un pays où il serait exposé à la torture, à des traitements cruels, inhumains ou dégradants, ou à d’autres préjudices irréparables. Ce droit s’applique à tous sans exception, quel que soit le statut migratoire de la personne et indépendamment de toute considération de sécurité nationale. Il n’existe pas de circonstance qui justifie d’y déroger.

Le droit à la vie privée et familiale est également dans la ligne de mire. Ce droit impose de prendre en compte l’impact qu’une expulsion aurait sur la personne concernée et sur les membres de sa famille : ses enfants, son conjoint, ses parents, ses frères et sœurs. Une décision d’éloignement ne peut être prise sans considérer ces liens fondamentaux qui structurent une vie humaine.

Une menace qui dépasse largement la question migratoire

L’enjeu va bien au-delà du traitement des personnes migrantes. Ce qui se joue aujourd’hui, c’est une tentative plus large des gouvernements de s’ingérer dans le rôle et l’indépendance de la Cour européenne des droits de l’homme.

Depuis sa création, la Cour a été un rempart contre l’autoritarisme et les violations des libertés fondamentales. Elle oblige les gouvernements à rendre des comptes sur leurs actions, notamment par des jugements contraignants qui constatent les violations de la Convention. Elle peut ordonner des mesures individuelles, comme des demandes d’indemnisation, et exiger la révision des lois et pratiques nationales afin de mettre fin aux violations systémiques.

Bon nombre des protections dont nous jouissons aujourd’hui en Europe découlent directement du travail de cette institution. C’est grâce à la Cour que l’homosexualité a été totalement dépénalisée dans les États membres. C’est elle qui a imposé l’interdiction des châtiments corporels infligés aux enfants. C’est encore elle qui a renforcé la lutte contre la traite des êtres humains et l’esclavage domestique.

Protéger la Cour pour nous protéger tous

Les gouvernements qui s’attaquent aujourd’hui à la protection des migrants prévue par la Convention risquent d’affaiblir la Cour au point de l’empêcher de remplir son mandat. Or, pour nous protéger efficacement, cette institution a besoin d’autorité, d’indépendance et d’impartialité.

Si la Cour perd sa capacité à contraindre les États, c’est l’ensemble du système de protection des droits humains en Europe qui vacille. Et avec lui, les garanties dont chaque citoyen européen bénéficie au quotidien — souvent sans même en avoir conscience.

Car c’est là le paradoxe : les droits humains protègent tout le monde, y compris ceux qui pensent ne jamais en avoir besoin. Jusqu’au jour où ils en ont besoin.

Le droit international protège tout le monde — ou il ne protège personne.