Recension : « Dans le sillage du paléolibertarianisme, les Apocalypse Nerds » par Olivier Tesquet
Dans une analyse percutante1, le journaliste Olivier Tesquet met en lumière les racines idéologiques du technofascisme contemporain. De Gaza transformée en zone économique spéciale aux algorithmes de Palantir traquant les migrants, il dévoile comment la pensée de Hans-Hermann Hoppe irrigue aujourd’hui la Silicon Valley et l’administration Trump, menaçant les fondements mêmes de la démocratie et des droits humains.
L’article d’Olivier Tesquet offre une grille de lecture essentielle pour comprendre les mutations autoritaires de nos sociétés numériques. En exhumant Hans-Hermann Hoppe, théoricien du paléolibertarianisme, le journaliste trace une généalogie intellectuelle inquiétante reliant le refus radical de la démocratie aux pratiques actuelles des géants de la tech.
Le point de départ est saisissant : le plan Trump pour Gaza, qui prévoit de transformer l’enclave en zone économique spéciale sous gouvernance technocratique. Cette vision résonne avec les fantasmes de Curtis Yarvin ou Jared Kushner : remplacer l’autodétermination des peuples par une gestion entrepreneuriale. Pour les droits humains, cette perspective signifie la négation du droit des Palestiniens à décider de leur avenir, au profit d’une souveraineté privatisée.
Du paléolibertarianisme au technofascisme
La force de l’analyse réside dans sa capacité à relier cette vision à un corpus idéologique cohérent. Hans-Hermann Hoppe a théorisé dans les années 1990 un libertarianisme autoritaire conjuguant libéralisme économique radical et exclusion violente. Son ouvrage « Democracy, the God that Failed » résume son projet : la démocratie est une aberration. Hoppe prône explicitement l’exclusion physique des homosexuels, des militants écologistes, des communistes et de tous ceux qui ne correspondent pas à son modèle de propriétaire légitime.
Ce qui aurait pu rester marginal trouve aujourd’hui son actualisation dans la Silicon Valley. Peter Thiel, qui affirme que « la démocratie et la liberté ne sont plus compatibles », incarne cette filiation. Palantir, qu’il a cofondée, illustre la transformation du paléolibertarianisme en technofascisme : son logiciel Falcon compile les données de millions de personnes pour identifier les sans-papiers à expulser, privatisant une fonction régalienne.
Cette privatisation de la répression soulève des questions cruciales. Elle échappe aux garde-fous démocratiques traditionnels : Palantir ne rend de comptes qu’à ses actionnaires, tout en disposant d’un pouvoir considérable sur des millions de vies. L’algorithme devient juge et le code, loi, réduisant les êtres humains à des points de données.
L’article montre également comment cette idéologie fonctionne comme un protocole technique. Tesquet utilise la métaphore de l’API pour expliquer l’interopérabilité idéologique : des fragments de pensée circulent et se combinent. De Hayek, le marché comme légitimation ; de Carl Schmitt, la souveraineté comme pouvoir d’exception. Le résultat justifie la domination sous toutes ses formes.
L’efficacité contre la démocratie
Cette analyse éclaire les menaces sur nos démocraties. Le technofascisme se présente comme un dépassement rationnel de la modernité : l’efficacité contre le désordre démocratique, la performance contre l’égalité. Il touche une corde sensible dans des sociétés travaillées par le doute sur leurs institutions.
On peut toutefois regretter que l’article n’explore pas davantage les formes de résistance possibles. Le diagnostic est implacable, mais les pistes de réponse restent implicites. Comment protéger les droits humains face à cette alliance du capital technologique et de l’autoritarisme ? Comment préserver les espaces démocratiques quand l’infrastructure de nos sociétés est contrôlée par des entreprises privées ?
L’ouvrage « Apocalypse Nerds », dont cet article constitue une synthèse, arrive à point nommé. Il rappelle que la tech n’est pas neutre, que les algorithmes portent des choix politiques. Face au technofascisme, la défense des droits humains exige de déconstruire le discours de l’efficacité pour réaffirmer la primauté de la dignité sur la performance, de l’égalité sur la hiérarchie.
L’article offre les outils conceptuels pour comprendre ce combat. Reste à les mobiliser collectivement, avant que la démocratie ne devienne ce « logiciel périmé » que les héritiers de Hoppe rêvent de remplacer.
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- Dans le sillage du paléolibertarianisme, les Apocalypse Nerds, AOC, 4/11/2025 ↩︎