De nouveaux témoignages de civils palestiniens déplacés révèlent l’ampleur dramatique de la campagne de famine délibérément menée par Israël dans la bande de Gaza. Ces récits, recueillis par Amnesty International auprès de 19 Palestiniens dans trois camps de déplacés, dressent le portrait d’une population acculée à la survie après 22 mois de blocus et de destructions systématiques. Entre mères contraintes de rationner leurs dernières forces pour nourrir leurs enfants et personnes âgées résignées à mourir, ces témoignages constituent selon l’organisation une « condamnation cinglante » de l’inaction internationale face à ce qu’elle qualifie de génocide.
Une stratégie délibérée de destruction par la faim
Les conclusions d’Amnesty International sont sans appel : la famine qui ravage Gaza n’est pas un « dommage collatéral » des opérations militaires israéliennes, mais le résultat escompté d’une politique délibérée. Cette campagne systématique vise à « infliger délibérément aux Palestiniens de Gaza des conditions de vie destinées à provoquer leur destruction physique », affirme l’organisation dans son rapport publié aujourd’hui.
La confirmation officielle de cette réalité dramatique est venue le 29 juillet dernier, lorsque le Système de classification intégrée de la sécurité alimentaire a déclaré que le seuil de famine avait été atteint dans la majeure partie de Gaza. Les chiffres du ministère de la Santé de Gaza parlent d’eux-mêmes : au 14 août, 105 enfants étaient déjà morts des suites de complications liées à la malnutrition.
Cette situation s’est encore aggravée en juillet, avec près de 13 000 cas d’admissions pour traitement de malnutrition aiguë chez les enfants, soit le chiffre mensuel le plus élevé depuis octobre 2023. Parmi ces cas dramatiques, au moins 2 800 concernaient des situations de malnutrition aiguë sévère, représentant 22% du total.
Le calvaire des mères : « J’ai l’impression d’avoir échoué »
Témoignage de S., infirmière déplacée
« Mes enfants s’endorment en pleurant de faim. Le lait maternisé coûte 270 shekels pour trois jours, c’est inabordable. Ma fille de sept mois a le poids d’un bébé de quatre mois. J’ai l’impression d’avoir échoué en tant que mère ; la faim de vos enfants vous fait sentir que vous êtes une mauvaise mère. »
Le témoignage de S., infirmière contrainte de fuir Jabalia avec ses deux jeunes enfants, illustre de manière poignante le calvaire des femmes enceintes et allaitantes. Réfugiée dans le camp d’al-Taqwa, cette mère de famille a vu sa production de lait maternel s’effondrer à partir d’avril, la contraignant à des heures d’efforts infructueux pour allaiter son nourrisson de sept mois.
La pénurie touche tous les aspects de la vie quotidienne. Les couches étant introuvables, S. déchire ses propres vêtements pour en confectionner des provisoires qu’elle ne peut même pas laver faute d’eau potable. Sa tente, partagée avec son mari et ses deux enfants, est infestée de rats, moustiques et cafards, tandis que sa petite fille développe une infection cutanée impossible à soigner faute d’antibiotiques.
Cette situation désespérée touche particulièrement les femmes enceintes et allaitantes. Selon les données de Save the Children, 43% des 747 femmes enceintes et allaitantes examinées dans ses cliniques en juillet souffraient de malnutrition. Hadeel, 28 ans et enceinte de quatre mois, confie sa terreur : « J’ai peur de faire une fausse couche, mais je pense aussi à mon bébé : je panique rien qu’à l’idée de l’impact que ma propre faim pourrait avoir sur sa santé. »
L’effondrement du tissu social et des solidarités
Au-delà de la dimension humanitaire, cette famine orchestrée provoque un effondrement du tissu social palestinien. Nahed, 66 ans, décrit avec amertume comment « la ruée vers la nourriture près des itinéraires d’aide a privé les gens de leur humanité ». Son témoignage révèle l’ampleur de la dégradation : « J’ai vu de mes propres yeux des gens porter des sacs de farine tachés du sang de ceux qui venaient d’être abattus. »
L’écroulement des solidarités
« Avant, nous nous entraidions, en particulier ceux qui étaient dans le besoin. Même au début de cette guerre, les gens étaient guidés par leur instinct de survie. La faim et la guerre ont complètement changé Gaza ; elles ont changé nos valeurs. » (Abu Alaa, 62 ans, déplacé du camp de Jabalia)
Les personnes âgées payent un tribut particulièrement lourd à cette situation. Aziza, 75 ans, confie son souhait de mourir : « J’ai l’impression d’être devenue un fardeau pour ma famille. J’ai besoin de médicaments pour mon diabète, ma tension artérielle et une maladie cardiaque, et j’ai dû prendre des médicaments périmés. »
Une destruction systématique des sources alimentaires
L’étranglement de Gaza ne se limite pas au blocage de l’aide humanitaire. Une évaluation des Nations unies publiée le 31 juillet révèle que 86% des cultures permanentes de Gaza ont considérablement diminué en raison des « activités liées au conflit », notamment le rasage, les bombardements et l’utilisation d’engins lourds.
Cette destruction méthodique des infrastructures agricoles a des conséquences directes sur les prix. Un kilogramme de tomates coûte désormais près de 80 shekels, soit vingt fois plus qu’avant le 7 octobre 2023. Même après l’autorisation limitée de certaines marchandises commerciales, les prix restent dix fois supérieurs aux niveaux d’avant-guerre.
Les pêcheurs ne sont pas épargnés, confinés dans une zone réduite et dangereuse près du port où ils risquent bombardements et arrestations pour quelques poissons destinés à nourrir leurs familles.
Un cocktail mortel : famine et épidémies
Le système de santé gazaoui, déjà décimé, fait face à une « catastrophe invisible » selon un médecin urgentiste de l’hôpital al-Shifa. La combinaison de la malnutrition et des conditions d’hygiène déplorables provoque l’émergence de maladies inquiétantes, notamment le syndrome de Guillain-Barré, une maladie neurologique rare et potentiellement mortelle.
Soixante-seize cas de ce syndrome ont été enregistrés au 12 août, causant déjà quatre décès dont deux enfants. Le médicament nécessaire au traitement, l’immunoglobuline intraveineuse, reste bloqué par le blocus israélien, condamnant les patients à une paralysie progressive.
La spirale médicale
« Les blessures mettent beaucoup plus de temps à cicatriser, ce qui oblige les personnes modérément blessées à rester longtemps à l’hôpital, car leur corps est trop affaibli par le manque de nourriture. C’est une destruction à plusieurs niveaux et entremêlés. » (Médecin urgentiste, hôpital al-Shifa)
L’impasse humanitaire et l’urgence d’agir
Face à cette situation, Erika Guevara Rosas, directrice du programme Recherche d’Amnesty International, appelle à une action immédiate : « Pour commencer à inverser les conséquences dévastatrices des politiques d’Israël, il faut lever immédiatement et sans condition le blocus et instaurer un cessez-le-feu durable. »
L’organisation dénonce également les nouvelles restrictions imposées aux ONG internationales, qui risquent d’interdire totalement leur intervention sur le territoire palestinien occupé. Ces mesures coupent les familles palestiniennes de « leur seule bouée de sauvetage », alors que la plupart ont déjà épuisé leurs maigres ressources.
Alors qu’Israël menace de lancer une invasion terrestre de la ville de Gaza, un déplacé du camp de Jabalia résume la résignation qui gagne : « J’ai déjà été déplacé 14 fois pendant cette guerre ; je n’ai plus la force de fuir. S’ils attaquent la ville, nous resterons ici à attendre la mort. »
Cette enquête d’Amnesty International, menée auprès de familles contraintes de survivre avec une assiette de lentilles par jour quand elle est disponible, révèle l’ampleur d’une tragédie qui dépasse la seule dimension humanitaire pour toucher aux fondements mêmes de l’existence d’un peuple.
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