ChatGPT, Midjourney, DALL-E… Ces nouveaux outils d’intelligence artificielle ne transforment pas seulement notre quotidien, ils remuent aussi les grandes questions philosophiques. Comment ces machines qui semblent penser nous aident-elles à mieux comprendre ce que signifie être humain ? C’est la question passionnante qu’explorent Alexandre Gefen et Philippe Huneman dans leur article « Les défis de l’IA à la philosophie »sur AOC.
NOUVELLES TECHNOLOGIES, VIEILLES QUESTIONS
Depuis l’Antiquité, les philosophes se demandent ce qu’est penser, connaître ou créer. Avec l’arrivée des IA modernes qui écrivent, dessinent ou composent presque comme nous, ces interrogations prennent une nouvelle dimension.
Les chercheurs montrent que ces technologies font écho à des idées philosophiques anciennes. Par exemple, quand ChatGPT produit des textes en s’appuyant sur la fréquence des mots qu’il a rencontrés, il rappelle la théorie de Wittgenstein selon laquelle le sens des mots vient de leur usage. Et quand une IA résout un problème sans vraiment le « comprendre », elle illustre ce que Leibniz disait il y a 300 ans : une proposition peut être correcte simplement par sa forme, sans qu’on ait besoin de la comprendre.
QUAND LA MACHINE « SAIT » SANS COMPRENDRE
L’une des questions les plus troublantes concerne notre rapport au savoir. Traditionnellement, on considère que savoir quelque chose, c’est avoir une « croyance vraie justifiée » – c’est-à-dire qu’on peut expliquer pourquoi on sait ce qu’on sait.
Or, les IA actuelles produisent des résultats souvent justes sans pouvoir les justifier. Elles fonctionnent comme des boîtes noires, reconnaissant des motifs dans d’immenses quantités de données, sans suivre un raisonnement que nous pourrions retracer étape par étape. C’est un peu comme si elles savaient sans comprendre.
Cette opacité se retrouve aussi dans les algorithmes de recommandation qui nous suggèrent des films sur Netflix ou des produits sur Amazon. Ils « devinent » nos goûts sans véritablement comprendre ce qui nous plaît.
Autre problème : les réponses des IA sont-elles toujours pertinentes ? Dans une conversation humaine, nous adaptons nos réponses au contexte – ce que les philosophes appellent les « jeux de langage ». Mais l’IA peut-elle vraiment participer à ces jeux sans avoir conscience de leur signification ?
QUI EST RESPONSABLE ? LA QUESTION DE L’AUTEUR
Imaginez qu’une IA médicale fasse une erreur de diagnostic ou qu’une voiture autonome provoque un accident. Qui est responsable ? L’IA elle-même ? Ses concepteurs ? Ceux qui l’utilisent ?
Contrairement aux humains, une IA ne peut pas « répondre de ses actes ». Cette absence de responsabilité soulève des questions fondamentales : quand un texte est généré par une IA, qui en est l’auteur ? À qui parle-t-on vraiment quand on dialogue avec un chatbot ?
Ces questions nous obligent à repenser nos conceptions de l’identité personnelle et de la responsabilité. Sommes-nous prêts à interagir avec des entités qui nous ressemblent mais ne peuvent pas être tenues pour responsables de leurs actions ?
CONSCIENCE ET LIBERTÉ : CE QUI NOUS REND HUMAINS
Si les IA peuvent imiter de nombreuses capacités humaines, une frontière semble demeurer : la conscience. Les théories scientifiques actuelles suggèrent que la conscience est liée à notre expérience incarnée, à notre présence physique dans le monde.
Cette particularité remet en question certains rêves futuristes, comme celui de « télécharger » un jour notre esprit dans un ordinateur. Cependant, les IA offrent déjà une forme troublante d’immortalité en pouvant simuler une personne à partir de ses traces numériques.
Quant à notre liberté, l’IA la questionne de deux façons : par sa capacité à prédire nos comportements (sommes-nous si prévisibles ?) et par sa tendance à optimiser pour « le plus grand nombre », parfois au détriment des expériences individuelles. Pensez aux GPS qui redirigent tous les conducteurs sur le même itinéraire alternatif, créant finalement un nouveau bouchon !
L’ART À L’ÈRE DES MACHINES CRÉATIVES
Les IA qui génèrent des images, comme DALL-E ou Midjourney, bouleversent notre conception de l’art. L’artiste devient un « ingénieur du texte » qui formule des instructions (prompts) plutôt que de manier directement le pinceau.
Plus profondément, ces outils changent notre rapport à l’image. Une photo traditionnelle capture un moment réel ; une peinture exprime la subjectivité d’un artiste. Mais que représente exactement une image créée par IA ? Elle ne montre pas le monde tel qu’il est, ni tel qu’un humain le perçoit, mais une reconstruction statistique basée sur des millions d’images préexistantes.
Cette situation crée un malaise que les chercheurs appellent la « vallée de l’étrange » : ces œuvres ressemblent à des créations humaines, mais leur origine différente nous empêche de les apprécier comme telles. Pouvons-nous être émus par une œuvre sans intention humaine derrière elle ?
UNE PHILOSOPHIE RENOUVELÉE
Loin de rendre la philosophie dépassée, l’IA la revitalise en donnant un nouveau souffle à des questions fondamentales. Elle nous oblige à réexaminer ce que signifie penser, créer, connaître et être responsable.
Les philosophes nous aident à naviguer dans ce monde où la frontière entre l’humain et la machine s’estompe. Ils nous rappellent que la technologie, en imitant certaines de nos capacités, nous permet paradoxalement de mieux cerner ce qui constitue notre humanité irréductible.
Ainsi, l’IA devient un miroir qui nous renvoie à nous-mêmes et aux questions essentielles : qu’est-ce qui fait de nous des humains à l’ère des machines intelligentes ?
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