Dans notre monde interconnecté, il est facile de croire que l’information circule librement et que les violations des droits humains peuvent être instantanément signalées et traitées. Cependant, un récent rapport de Mary Lawlor, Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits humains, révèle une réalité troublante : les défenseurs travaillant dans des contextes isolés, éloignés et ruraux font face à des défis uniques et souvent mortels précisément en raison de leur emplacement.
Les dangers cachés de l’éloignement
Le rapport s’ouvre sur le cas tragique de Quinto Inuma Alvarado, un défenseur des droits humains autochtone Kichwa de la région amazonienne du Pérou, assassiné en novembre 2023. Après avoir participé à un atelier avec des défenseurs des droits environnementaux et fonciers, Quinto a été victime d’une embuscade sur le chemin du retour – des assaillants ont bloqué la rivière avec un tronc d’arbre et l’ont abattu de plusieurs balles. Malgré les nombreuses menaces de mort reçues au cours de ses 25 années de lutte contre les exploitants forestiers et les trafiquants de drogue, et malgré certaines mesures de protection du gouvernement péruvien, il a été tué.
Cette histoire n’est malheureusement pas unique. Selon les rapports mondiaux cités dans le document de l’ONU, au moins 196 défenseurs des terres et de l’environnement ont été tués en 2023, beaucoup d’entre eux travaillant dans des zones rurales ou éloignées.
Pourquoi l’emplacement est important
Être basé dans une zone rurale, éloignée ou isolée crée ce que le rapport appelle un « multiplicateur de risque » pour les défenseurs des droits humains. Ces individus souffrent souvent de :
- Manque de mécanismes de soutien
- Mauvaises liaisons de transport
- Couverture médiatique limitée
- Absence de présence policière locale
- Accès à Internet peu fiable ou inexistant
- Prestataires de services inadéquats
De plus, les défenseurs des zones rurales font souvent l’objet de discriminations basées sur leurs origines. Une femme défenseuse des droits humains d’Indonésie a rapporté être considérée comme inférieure simplement parce qu’elle était perçue comme « une villageoise, pas une personne de la grande ville. »
Fractures numériques et déserts juridiques
Les défis s’étendent aux questions fondamentales de connectivité et de représentation juridique. Dans certaines zones isolées de Colombie, la couverture Internet atteint moins de 24% des foyers. Cette fracture numérique est aggravée par un manque d’infrastructures bancaires, rendant difficile pour les défenseurs de recevoir des fonds d’urgence ou d’effectuer des transactions financières de base.
Le soutien juridique présente un autre obstacle majeur. Le rapport note que dans les zones reculées, il est « difficile, voire impossible, de trouver un avocat spécialisé en droits humains. » Même lorsqu’une assistance juridique est disponible, les coûts peuvent être prohibitifs. Dans la République de l’Altaï en Russie, par exemple, les frais d’admission au barreau s’élèvent à environ 5 000 dollars – vingt fois plus que le salaire minimum mensuel. Ces coûts sont généralement répercutés sur les clients, rendant la représentation juridique inabordable pour de nombreux défenseurs.
Menaces des entreprises et résistance communautaire
De nombreux défenseurs des droits humains en milieu rural se retrouvent en conflit avec de puissants intérêts commerciaux. La Rapporteuse spéciale entend régulièrement des défenseurs autochtones affirmer que le consentement libre, préalable et éclairé pour des projets sur leurs terres est « soit manipulé, soit absent. »
Dans un cas au Libéria, des défenseurs locaux exigeant des comptes pour un déversement toxique provenant d’une installation minière ont fait face à une répression violente. Lorsqu’ils ont protesté, 44 personnes ont été poursuivies pour des crimes incluant « vol à main armée, incendie criminel et menaces terroristes. » Les personnes détenues ont rapporté avoir été dénudées, ligotées, privées d’eau et battues.
Pourtant, malgré ces défis, les communautés ont trouvé des moyens créatifs de se défendre en l’absence de protection étatique. En Colombie, les Gardes Indigènes emploient des méthodes de protection collective non-violentes pour fournir les premiers secours et défendre les territoires contre les conflits armés. D’autres communautés ont établi des réseaux de communication, des groupes de surveillance et des espaces de protection collective.
Aller de l’avant : Recommandations pour le changement
Le rapport conclut avec des recommandations pour diverses parties prenantes :
Pour les gouvernements :
- Promouvoir publiquement le travail des défenseurs des droits humains en milieu rural
- Renforcer les réseaux de soutien en dehors des capitales
- Élargir l’accès à Internet et aux outils de communication sécurisés
- Établir des corridors sécurisés pour les défenseurs dans les zones de conflit
- S’assurer que les entreprises respectent les droits humains
Pour les entreprises :
- Adopter des politiques de tolérance zéro contre les représailles envers ceux qui soulèvent des préoccupations
- S’assurer que le consentement libre, préalable et éclairé est respecté
Pour la société civile :
- Développer des stratégies pour garantir que les défenseurs ruraux puissent participer aux événements et formations
- Établir des méthodes de communication fiables pour aider à signaler les violations
Le message essentiel tout au long du rapport est que l’emplacement ne devrait pas déterminer si les défenseurs des droits humains reçoivent une protection. Comme le note la Rapporteuse spéciale, « De nombreux gouvernements manquent à leurs obligations morales et légales de protéger les défenseurs des droits humains, y compris ceux dans des zones isolées, éloignées et rurales… Les États peuvent et devraient protéger les défenseurs qui font leur travail, peu importe où ils sont basés. »
Cet article est basé sur le rapport « Hors de vue : les défenseurs des droits humains travaillant dans des contextes isolés, éloignés et ruraux » de la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits humains, Mary Lawlor (A/HRC/58/53).