La nouvelle alliance entre les géants de la tech et l’administration Trump dessine les contours d’un modèle politique inquiétant que les historiens n’hésitent pas à qualifier de « techno-fascisme ». Analyse d’un phénomène qui transforme l’État américain.
L’article de Kyle Chayka, publié dans le New Yorker le 26 février 2025, explore une transformation radicale du paysage politique américain : l’émergence d’un « techno-fascisme » caractérisé par l’union entre le pouvoir gouvernemental et les titans de la Silicon Valley.
Une alliance stratégique au sommet de l’État
Tout commence avec une image forte : Mark Zuckerberg, Jeff Bezos, Elon Musk et Sundar Pichai alignés derrière Donald Trump lors de son investiture en janvier 2025. Au-delà d’un simple soutien entrepreneurial motivé par des promesses de déréglementation, l’historienne Janis Mimura y voit l’émergence d’un phénomène bien plus inquiétant.
Cette configuration rappelle à Mimura les « bureaucrates technocrates » qui ont mené le Japon vers la Seconde Guerre mondiale. La comparaison est frappante : une élite d’experts technologiques s’infiltrant dans les rouages du gouvernement pour imposer une vision où la technologie devient « la force motrice » du régime, conduisant à « une technicisation de tous les aspects du gouvernement et de la société ».
Les précédents historiques et l’expérience mandchoue
L’article établit un parallèle saisissant avec le Japon des années 1930. Nobusuke Kishi, bureaucrate chargé du développement industriel en Mandchourie occupée, y déploie un modèle d’exploitation systématique qui servira ensuite de base à la politique nationale japonaise. Ce « glissement vers le fascisme » s’opère non pas par l’émergence d’un leader charismatique unique, mais par la création d’organismes technocratiques infiltrant l’appareil d’État.
Dans l’Amérique de 2025, le « doge » d’Elon Musk apparaît comme la manifestation contemporaine de ce phénomène. Sans avoir de responsabilité claire, cette entité composée d’ingénieurs liés aux entreprises de Musk exerce une influence considérable sur l’administration fédérale.
La Silicon Valley à l’assaut de Washington
L’article met en lumière comment l’idéologie de la Silicon Valley a progressivement infiltré le pouvoir politique, depuis l’adoption des médias sociaux sous Obama jusqu’à la situation actuelle où la technologie semble supplanter l’autorité étatique traditionnelle.
Musk réduit les effectifs fédéraux, ferme des agences, utilise l’intelligence artificielle pour guider les coupes budgétaires et développe des outils de communication centralisés qui lui confèrent un pouvoir sans précédent. Cette approche « rationnelle » appliquée aux institutions humaines devient, selon Mimura, « presque totalitaire ».
D’autres acteurs tech participent à cette dynamique : Sam Altman (OpenAI) avec son projet Stargate à 500 milliards de dollars, Apple avec son plan d’investissement massif au Texas. Trump lui-même valide cette collaboration sur Truth Social.
Les contradictions internes de la droite américaine
Le techno-fascisme marque une rupture avec le populisme MAGA traditionnel. Steve Bannon, figure emblématique du trumpisme première version, dénonce cette nouvelle alliance comme un « techno-féodalisme » transformant les Américains en « serfs numériques ». Il qualifie Musk d' »accélérationniste », référence à une idéologie qui considère le chaos comme inévitable.
« (…) M. Molle identifie ce qu’il appelle le « techno-accélérationnisme » de Musk comme ayant une finalité différente : détruire l’ordre existant pour en créer un autre, technologisé et hiérarchisé, avec des ingénieurs au sommet. »
L’article explore cette tension : alors que la droite MAGA aspire à restaurer un passé idéalisé, la droite technologique veut « briser les choses » pour créer un ordre nouveau, hiérarchisé, avec les ingénieurs au sommet.
Les leçons du passé japonais
La conclusion de l’article évoque la trajectoire du techno-fascisme japonais : après une phase de collaboration, les technocrates et les politiciens de droite ont fini par diverger. Pourtant, l’histoire montre aussi que ces technocrates, n’étant pas directement responsables politiquement, peuvent survivre aux régimes qu’ils ont contribué à créer. Kishi lui-même, après la défaite japonaise, est revenu au pouvoir sans « avoir de sang sur les mains ».
Un avertissement implicite sur la résilience de ces structures technocratiques, même après l’échec des régimes qu’elles ont servis.
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