Immigration et emploi en Belgique : les défis cachés derrière les chiffres

Sotieta Ngo, directrice du CIRÉ, lève le voile sur la réalité complexe de l’immigration en Belgique. Des réfugiés palestiniens aux sans-papiers, en passant par les travailleurs étrangers qualifiés, elle expose les incohérences d’un système qui privilégie souvent l’idéologie à l’économie. Entre besoins du marché du travail et politique migratoire restrictive, Sotieta Ngo appelle à un changement de paradigme pour une approche plus pragmatique et humaine.

La situation des réfugiés palestiniens : un statut à double tranchant

En Avant! : Quelle est la situation des réfugiés palestiniens en Belgique pour le moment ?
Sotieta NGO : Il y en a trop aux yeux de la secrétaire d’état à l’asile et à la migration, apparemment, puisqu’elle veut discuter avec les autres pays européens sur le sujet. Il y a environ 3000 réfugiés palestiniens qui sont récemment arrivés en Belgique. Notre pays, avec la Grèce, est le seul pays de l’Union européenne à accorder le statut de réfugié et pas la protection subsidiaire. C’est positif, mais cela se retourne contre eux car l’examen est plus méticuleux, ce qui entraîne des délais de procédure déraisonnables.
La moitié du personnel du CGRA travaille sur les dossiers palestiniens, ce qui n’est pas arrivé très souvent à ma connaissance. Il y a un examen individuel beaucoup plus pointu.
EN AVANT! : Et puis, il semblerait qu’il leur est régulièrement demandé, notamment lorsqu’il s’agit de regroupement familial, des actes de naissance, des certificats médicaux,… même si à Gaza, Il n’y avait plus d’hôpitaux et plus vraiment d’administration.
SOTIETA NGO : Non, il n’y a plus rien mais pour toutes les procédures en Belgique, ça va être compliqué ; donc ils doivent avoir un statut de réfugié pour bénéficier des documents d’identité aussi.

Demandeurs d’asile : une « nouvelle normalité » à 30 000 demandes par an

EN AVANT! : Qu’en est-il de la situation générale des demandeurs d’asile ?
SOTIETA NGO : Les chiffres des demandeurs d’asile sont assez stables par rapport à l’année dernière. Nous sommes dans des tendances hautes, mais qui sont, d’après moi, la nouvelle normalité. La Belgique est plutôt sur une tendance de plus de 30 000 demandes par an depuis plusieurs années maintenant.
Les autorités belges examinent notre ranking au niveau européen, et donc la proportion par rapport à la population est — pour notre gouvernement — trop élevée. Certes, elle est au-dessus de certains états, mais la position géographique, la publicité accordée à la Belgique par les instances européennes, etc. attirent nécessairement plus de demandeurs, donc 35 000 me semble être vraiment un chiffre « normal » pour l’instant.
Ceci dit, il y aura un avant et un après le pacte européen des migrations.

Sans-papiers en Belgique : 112 000 vies dans l’ombre

EN AVANT! : Où en est-on en ce qui concerne les sans-papiers ?
SOTIETA NGO: En ce qui concerne les sans-papiers (à ne pas confondre avec les sans-abris), ce sont toujours des estimations. Ce sont toujours des chiffres à prendre avec précaution, mais y a la dernière estimation est pour moi plus sérieuse que toutes les autres. C’est une recherche faite par la VUB et qui se base pour la première fois sur des tables de mortalité. Elle parle de 112 000 personnes sans papiers. Avec probablement 80.000 sans-papiers à Bruxelles et le reste sur l’ensemble du territoire.
EN AVANT! : Ce qui est frappant, c’est qu’alors qu’il y a autant de sans-papiers, dont une bonne partie n’est pas sans diplôme ou sans formation, la Flandre, notamment, va chercher des Mexicains ou des Indiens ailleurs.
SOTIETA NGO : Oui, on est frappé par ça, On est frappé par le nombre de professions en pénurie en Flandre comme en Wallonie. La situation du marché de l’emploi n’est pas la même suivant les régions, mais quelle que soit la situation, il y a des professions en pénurie. Pourtant, les blocages à l’égard des personnes étrangères, et pas que des personnes sans papiers, continuent de s’exercer de manière assez forte, même dans les cas où nous avons des travailleurs étrangers avec des compétences dans les secteurs en pénurie. Et ça, ça ne peut que poser question.

Le paradoxe du marché du travail : pénuries et talents inexploités


EN AVANT! : C’est vraiment une approche idéologique?
SOTIETA NGO : La vision politique de la migration prend le dessus sur les besoins économiques apparemment. Donc, pour les sans-papiers, c’est très simple : ils n’ont pas accès au permis unique, qui est le sésame pour avoir accès au travail. La législation prévoit textuellement que les personnes qui n’ont pas un titre de séjour valable ne peuvent pas introduire cette demande : les sans-papiers sont exclus au stade de la recevabilité.
On ne regarde pas le profil de la personne. Parfois, elle est née en Belgique, a fait toutes ses études en Belgique, mais peu importe. Même si elle pourrait répondre à des demandes dans des secteurs en pénurie.
EN AVANT! : Comment cela est-il possible ?
SOTIETA NGO : La personne est peut-être venue comme étudiante. Un étudiant étranger fait son cursus qui coûte quand même un petit peu à la Belgique, puisque c’est un lieu d’enseignement, etc. Et même si le minéral est augmenté, la Belgique a investi dans cette formation. L’étudiant obtient son diplôme et il a droit à une année de transition — c’est la législation sur les études des étudiants étrangers. Il a une année de transition pour trouver un emploi. S’il (ou elle) n’arrive pas à trouver un job (il y a plein de raisons possible, c’est parfois très très difficile), son titre de séjour n’est plus renouvelé. Si la personne fait une demande à ce moment là parce qu’elle a enfin trouvé un employeur. Et bien, on lui dit : « Non, non, vous êtes sans papiers ». Alors, c’est vrai : c’est un·e sans-papier, mais formé·e en Belgique avec des compétences acquises en Belgique, les codes belges, etc.
Nous avons été confrontés à un cas particulièrement frappant. Il s’agissait d’un infirmier que le CHU de Liège souhaitait recruter pendant la crise du Covid. Cet infirmier avait été formé en Belgique mais se trouvait en situation irrégulière. Cette situation relève d’une compétence partagée entre la région et le fédéral : la région est responsable de l’emploi, tandis que le fédéral gère le séjour. En principe, le fédéral ne devrait examiner que les questions d’ordre public, comme le casier judiciaire. La décision concernant l’emploi d’une personne sans papiers devrait revenir à la région.
Cependant, la loi stipule qu’un accord de coopération est nécessaire pour régler ce type de cas. Malheureusement, le fédéral adopte une position inflexible, refusant d’examiner toute situation, y compris celle de cet infirmier, malgré les circonstances exceptionnelles et le besoin urgent de personnel soignant.

La reconnaissance des diplômes : un parcours du combattant pour les travailleurs étrangers


EN AVANT! : J’ai réussi ma formation, j’ai été formé en Belgique, j’ai un contrat pour ce job (et donc la preuve que je peux vivre dignement, et non pas aux frais du Belge moyen) et pourtant il faut que j’aie un titre de séjour.
SOTIETA NGO : Le CHU de Liège veut l’engager, on est en plein Covid, il y a un manque terrible. Finalement, la personne a finalement introduit une autre demande de séjour, sur base d’une demande de régularisation. Avec beaucoup de pression de la part des syndicats du CHU, de Liège, la secrétaire d’état à l’asile et aux migrations a lâché. Mais qu’il ait fallu une bataille de plusieurs mois, même pour ce profil-là, c’est absurde.
L’emploi régionalisée. La délivrance des permis devrait dépendre intégralement des régions, mais il se fait que la procédure implique le fédéral : dès lors qu’il s’agit de travailleurs étrangers, le fédéral veut avoir son mot à dire. Pourtant la région devrait être autonome pour faire des dérogations et elle n’en a pas la possibilité.
EN AVANT! : Une analyse a-t-elle été faite pour analyser la concordance possible entre la main d’œuvre disponible chez les sans-papiers et des professions en pénurie ?
SOTIETA NGO : À ma connaissance, non, et à mon avis, c’est compliqué, parce que les sans-papiers se terrent, et donc toute donnée concernant les sans-papiers est compliquée à obtenir. Et puis, c’est toujours un peu compliqué, les professions en pénurie. Dès lors qu’il y a une profession déclarée comme telle, on assouplit certaines législations, notamment sur les travailleurs étrangers. On peut définir des cas de dispense, je passe les détails techniques.
Mais c’est très étrange parce que les régions ont une attitude différente par rapport à leurs listes de pénurie. Ça ne reflète pas toujours la réalité des choses. La Région bruxelloise pendant un moment n’avait que six professions en pénurie. Et on se dit : mais c’est faux, pourquoi disent-ils cela ? C’est probablement pour éviter d’avoir à « régulariser » des sans-papiers. Or, les pénuries ne concernent pas que des professions avec des hautes qualifications ou une longue formation.
Sous la précédente législature, Christine Morreale, ministre de l’emploi, a commencé un petit bras de fer avec le fédéral sur des dossiers de sans-papiers qui demandaient un permis unique. Elle n’a réussi que moyennement son « coup » ( Bruxelles n’a même rien tenté).
Dans l’accord du gouvernement wallon, Mr. Borsus fait une mention à cet égard en disant : « pour répondre aux besoins des entrepreneurs ». Mais le gouvernement reste très, très prudent parce qu’ils n’ont pas toute la main : ils savent qu’ils doivent négocier avec le fédéral et que, vu les orientations qui semblent se dessiner au fédéral, ils risquent de ne pas l’obtenir. La formulation reste donc soft : « Ceci ne sera pas une régularisation », et avec énormément de précautions. Alors que la région est dans sa compétence. C’est ce que je dis depuis quelques années maintenant aux autorités régionales : « Faites respecter vos compétences, arrêtez de dépendre du fédéral. Dans la discussion institutionnelle rappelez que l’emploi, c’est votre compétence ».
EN AVANT! : Il s’agit pas ici d’accueillir, ou demain, de régulariser en masse tous les sans-papiers, il s’agit de « régulariser » des gens qui auront un emploi.
SOTIETA NGO : C’est toujours l’employeur qui introduit la demande, donc c’est une réponse à un besoin exprimé par un employeur. Pour reprendre l’exemple du CHU, c’est lui qui a fait la démarche. Comment justifier le refus d’un ministre de l’emploi à la demande d’un entrepreneur, alors que le besoin est évident et que l’employeur vient avec un travailleur en disant : j’ai trouvé la personne qu’il me fallait. D’autant qu’il y a toujours un examen qui est exercé par les régions, analyse du marché du travail et des chômeurs et donc pour voir s’il n’y a pas des chômeurs qui ont les mêmes compétences.
Et n’oublions pas que lorsque la relation de travail prend fin, le permis de travail se termine aussi, quelle qu’en soit la raison.

Travail au noir : les dangers de l’invisibilité


EN AVANT! : Une des questions qui émerge inévitablement quand on parle des sans-papiers, c’est le travail au noir, évidemment.
SOTIETA NGO : Bien sûr. Parmi les sans-papiers, comme parmi les autres, le Covid a impacté le travail de tous ceux qui travaillaient régulièrement, ou pas, … Bien sûr, les sans-papiers n’ont pas le choix puisqu’ils n’ont accès à rien.
Les sans-papiers sont probablement actifs à 60 pourcents comme la population belge et ils n’ont pas le choix parce que il n’y a aucun filet de sécurité. Ils peuvent parfois dépendre de la solidarité informelle. Mais ça a ses limites bien plus que pour n’importe quel autre travailleur qui peut quand être récupéré grâce à plusieurs filets.
Le problème, c’est que tous ces obstacles les invisibilisent de plus en plus. C’est une situation qui préoccupe énormément le secteur migration, les chercheurs, les syndicats, la société civile. Par exemple, le secteur des soins, comme les gardes de personnes âgées et les gardes d’enfants à domicile, parce que là c’est un peu incontrôlable, c’est de l’informel pur et dur. Il y a des cas d’exploitation sévère comme des cas de harcèlement, mais à tout le moins tu n’atteins pas le salaire minimum, les conditions de travail normales, etc. Ce sont des professions compliquées. La nounou qui s’occupe d’une personne âgée, qui lui fait à manger, qui a droit à deux heures de repos par semaine et qui loge à domicile, elle échappe à tous les radars.
Et ça, c’est vraiment le gros secteur qui fait l’objet de toutes les préoccupations. C’est aussi principalement du travail féminin, avec tous les risques et les réalités d’exploitation sexuelle et de violence sexuelle. Dans le métier du bâtiment, on sait à quel point les contrôles sont actifs, comme dans l’Horeca. Ce sont des métiers visibles, tandis qu’aller contrôler une nounou dans une villa cossue d’une banlieue… c’est plus difficile.
EN AVANT! : En fait, d’une part, c’est pas rentable pour l’État puisqu’il n’y a pas de taxes et de cotisations sociales. Mais en même temps, si on est cynique, on se dit : c’est une économie informelle, et donc, c’est autant que l’État n’a pas à organiser (et financer).
SOTIETA NGO : C’est vrai que l’État ne s’attaque pas tellement à ça, parce que c’est compliqué, que ce sont des lieux de travail isolés. Mais il est vrai aussi que les familles vont rouspéter, en disant : « Mais moi, j’engagerais bien, mais vous vous rendez bien compte que je ne peux pas dépenser 4.500 € par mois pour avoir quelqu’un à domicile afin de s’occuper de ma vieille maman mourante ». Il faut donc trouver une autre solution, que les autorités n’arrivent pas à mettre en place. Il y a des personnes qui abusent bien sûr, mais la plupart des personnes qui emploient ces sans-papiers de façon informelle sont des personnes respectables.
Par ailleurs, l’inspection du travail est totalement démunie. On a eu des rencontres avec d’autres organisations et des fonctionnaires de l’inspection du travail, et on se rend compte que le nombre de sanctions qu’ils arrivent à établir est anecdotique par rapport aux nombre d’enquêtes. Et c’est intéressant de savoir que la plupart des plaintes ont été engendrées par des dénonciations des travailleurs exploités eux-mêmes. Mais il faut avoir les reins solides parce que ces travailleurs exploités, ils repartent menottés dans le combi et risquent l’expulsion. Ils ne se plaignent que lorsque l’employeur leur doit des milliers d’euros.
Et l’aide familiale ouzbèke qui travaille dans une villa à garder une personne âgée et se fait exploiter complètement ne va rien dénoncer. Elle a pas du tout envie de subir l’humiliation des menottes et de la détention et d’être remballée en Ouzbékistan.
C’est pour cela que les autorités en font si peu, mais surtout par ce que le réel moyen de couper ce business-là, c’est de délivrer des titres de séjour, évidemment.
Et ça, nos gouvernants n’en veulent pas. Bien sûr, ces personnes sont partie du système d’exploitation : elles acceptent des sous-salaires, sous-conditions de travail,… Mais c’est leur moyen de subsistance.
Ceci étant dit, même pour les personnes autorisées au séjour, il y a une multitude de freins qui s’exercent aussi à leur égard : la reconnaissance de leurs qualifications.
Ainsi, au Ciré, nous avons dans notre base de données plus de 100 professionnels de la santé chaque année : des directeurs de clinique égyptiens, des chirurgiens, des pharmaciens, des infirmiers. Mais ils sont bloqués au niveau de la reconnaissance de leur diplôme ou de leurs compétences. On a ainsi le directeur de clinique égyptien, avec 20 ans d’expérience : il devrait recommencer des études. La seule équivalence qui lui est reconnue, c’est celle d’aide-soignant !
La communauté française dit : « Oui, mais nous sommes là pour comparer deux cursus. Or, le cursus en Égypte n’est pas le même qu’en Belgique ». Certes, mais est-ce que cela veut dire que ce professionnel n’a pas les compétences requises ? Il y a une espèce de sacralisation en Belgique de l’équivalence de diplôme.
EN AVANT! : On pourrait imaginer d’avoir des périodes de transition ?
SOTIETA NGO : Oui, ou de stages qui entraînent la reconnaissance des compétences. On pourrait faire le test des compétences. C’est une humiliation vécue par ces personnes, qui finissent parfois par se réorienter complètement. Le directeur de clinique, il n’a pas du tout envie d’être considéré comme aide-soignant ni de reprendre des études. Donc, il se lance dans la cuisine.
D’autres acceptent, parce que parce que c’est leur passion, ce sont leurs compétences, ils ont charge de famille, ils n’ont pas le choix, mais c’est une dégradation des qualifications avec dégradation salariale à la clé aussi. À nouveau, les travailleurs étrangers sont quand même traités en fonction des pénuries existantes.
Et puis le clou du spectacle, c’est la politique de migration économique qui est complètement biaisée en Belgique. Officiellement, la personne fait sa demande à partir de son pays d’origine. Mais en fait, ça ne fonctionne jamais, sauf si elle fait partie des professions hautement qualifiées ou dans des programmes introduits par des grandes entreprises, ou des hôpitaux qui vont chercher des infirmières en Inde.
EN AVANT! : Dans un sens, nous enlevons des gens dont ces pays ont le plus besoin.
SOTIETA NGO: Oui, plutôt que de prévoir des programmes de migration circulaire où il y a au moins au moins un semblant de Win-Win. Non, on va les chercher, on va les former, on va les sous payer, on les jettera quand on en aura plus besoin. Alors qu’il y a des personnes ici qui ont les codes, parfois les formations, certes sans papiers ou avec papiers, mais pas le bon diplôme reconnu, et qui pourraient convenir.
Et l’autre absurdité, c’est le travail détaché. Il a pris le dessus complètement. Grâce à cette libre circulation des travailleurs en Europe, tu peux avoir un travailleur polonais engagé par une boîte polonaise qui a pris un marché public en Belgique. Il est payé selon les conditions polonaises, même si souvent la couverture sociale et les conditions de travail ne sont pas les mêmes que pour les autres travailleurs.
Il y a aussi les faux travailleurs détachés. L’entrepreneur polonais va engager des Ouzbeks en les faisant passer pour des travailleurs polonais.
Et là, c’est la boîte de Pandore, le travail détaché, on le sait, on voit bien tous ceux sur les routes pour changer sa fibre optique, par exemple. Tous ces travailleurs européens ou pseudo-européens sont là aussi exploités. La presse relate assez souvent ces histoires de containers remplis de ces travailleurs. Les dysfonctionnements et les incohérences sont énormissimes. C’est là qu’il faut investir dans les contrôles.

La politique migratoire face à l’économie : quand l’idéologie l’emporte

En fait, quand on regarde sous l’angle des sans-papiers, on se rend compte à quel point la polémique « migration » l’emporte sur l’économique. Les autorités privilégient la fermeture migratoire à la réponse aux besoins économiques. Je ne sais pas ce qu’en dirait la population, si on lui présentait les choses de cette façon.
En fait, on laisse des champs béants d’exploitation ou de détournement. On n’est pas en train de mettre un terme à l’exploitation, aux abus et aux détournements, on les déplace.

EN AVANT! : Et aussi on rend invisibles ces travailleurs au noir. On n’en sait pas grand-chose et dès lors, on ne peut pas les protéger. Ce qui, d’un strict point de vue cynique et pragmatique, peut nous poser des problèmes en périodes d’épidémies, par exemple.
SOTIETA NGO : La période du Covid a été un bon test. Les espaces aériens sont fermés, on est dans une situation de pandémie, il faut prendre soin de soi pour prendre soin des autres. C’était ça le leitmotiv, le CIRÉ a tout de suite dit : « Donnez des titres de séjour aux sans-papiers, parce qu’en fait, sinon les sans-papiers vont continuer de vivre dans les squats dans des conditions de salubrité compliquées, ils n’ont pas accès aux produits d’hygiène ». D’ailleurs, les squats faisaient appel à l’aide en disant: on a besoin de savon, on a besoin de gel hydroalcoolique alcoolique.
En fait, rien n’a été fait, là, où d’autres états, la France, l’Espagne et d’autres états, ont évidemment, donné des titres de séjour, parfois provisoires.

La période du Covid a été un bon test. Les espaces aériens sont fermés, on est dans une situation de pandémie, il faut prendre soin de soi pour prendre soin des autres. (…) Mais la règle est restée la même : il faut pas faut pas donner de signal positif vers la régularisation, même pas une miette, y compris dans une période comme celle-là.

« La période du Covid a été un bon test. Les espaces aériens sont fermés, on est dans une situation de pandémie, il faut prendre soin de soi pour prendre soin des autres. (…) Mais la règle est restée la même : il faut pas faut pas donner de signal positif vers la régularisation, même pas une miette, y compris dans une période comme celle-là.  »


La Belgique n’a rien changé, elle a continué de délivrer des ordres de quitter le territoire pendant le Covid, même quand on leur disait: « Mais vous n’arriverez pas à les expulser ». La réponse fut : « Oui, on ne sait jamais sur la durée, au final, on y arrivera peut-être, on ne sait pas où le Covid nous mènera ». Il n’y a eu aucun infléchissement dans ce sens. Les sans-abris ont finalement été largement mieux pris en considération (certains ont été mis dans des hôtels aussi pour ne pas être trop au contact des autres). Mais la règle est restée la même : il faut pas faut pas donner de signal positif vers la régularisation, même pas une miette, y compris dans une période comme celle-là. C’est quand même hallucinant. C’est comme pour les vaccinations. Nous avons été contactés tardivement : « En fait, on voudrait toucher des personnes sans papiers pour la vaccination ». Nous avons répondu, même si on a fait notre possible : « Et c’est maintenant que vous venez nous demander, où sont les sans-papiers et comment les toucher ? ». Car pour ces personnes, se faire vacciner, c’est être dans les conditions pour être expulsées ; il fallait leur donner avant des titres de séjour.
EN AVANT! : On en revient à cette vision, qui est plus idéologique que sanitaire, économique,…
SOTIETA NGO : Bien, oui. On va voir avec les nouvelles majorités si elles aborderont cette question des sans-papiers sous l’angle que nous proposons.
Est-ce qu’on va voir un infléchissement réel sur ce champ-là, j’ai un doute. Mais il y a peut-être du travail à faire avec les employeurs. Ce sont des acteurs fondamentaux dans cette problématique.

Propos recueillis par Philippe Hensmans


Résumé

Immigration et emploi en Belgique : un système en décalage avec la réalité économique

Sotieta Ngo, directrice du CIRÉ (Coordination et Initiatives pour Réfugiés et Étrangers), dresse un tableau préoccupant de la situation des migrants en Belgique. Dans une interview approfondie, elle met en lumière les incohérences d’un système qui semble privilégier une approche idéologique au détriment des réalités économiques et humaines.

Avec environ 3000 réfugiés palestiniens récemment arrivés et une tendance stable d’environ 30 000 demandes d’asile par an, la Belgique fait face à des défis importants en matière d’immigration. Cependant, c’est la situation des sans-papiers qui révèle les contradictions les plus flagrantes du système belge.

Estimés à 112 000 personnes, dont 80 000 à Bruxelles, les sans-papiers représentent une main-d’œuvre potentielle importante, souvent qualifiée, mais légalement inaccessible pour les employeurs. Paradoxalement, alors que de nombreux secteurs font face à des pénuries de main-d’œuvre, la législation belge empêche ces personnes d’accéder au marché du travail légal, même lorsqu’elles ont été formées en Belgique.

Sotieta Ngo souligne l’absurdité de situations où des employeurs sont prêts à embaucher des sans-papiers qualifiés, mais en sont empêchés par des barrières administratives. Elle cite l’exemple frappant d’un infirmier formé en Belgique que le CHU de Liège voulait recruter pendant la crise du Covid, mais qui s’est heurté à des obstacles bureaucratiques en raison de son statut irrégulier.

La reconnaissance des diplômes étrangers pose également problème, avec des professionnels hautement qualifiés se voyant refuser la reconnaissance de leurs compétences, les poussant parfois à se réorienter vers des emplois sous-qualifiés.

La crise du Covid-19 a mis en lumière ces incohérences, la Belgique ayant maintenu une ligne dure envers les sans-papiers, contrairement à d’autres pays européens qui ont assoupli leurs politiques pour des raisons sanitaires et économiques.

Sotieta Ngo appelle à un changement de paradigme, suggérant que les régions devraient avoir plus d’autonomie pour gérer l’emploi des travailleurs étrangers et que la politique migratoire devrait être plus en phase avec les besoins économiques du pays. Elle souligne que la situation actuelle favorise le travail au noir et l’exploitation, tout en privant l’économie belge de compétences dont elle a besoin.

En conclusion, l’interview révèle un système d’immigration en décalage avec les réalités du terrain, où l’idéologie semble l’emporter sur les considérations pratiques, économiques et humanitaires. Un changement d’approche apparaît nécessaire pour répondre aux défis actuels de l’immigration et de l’emploi en Belgique.