Signal : Le modèle non-profit qui défie la Silicon Valley et l’IA basée sur la surveillance

Signal, l’application de messagerie sécurisée, célèbre ses 10 ans d’existence en prouvant qu’un modèle non lucratif peut prospérer dans l’industrie technologique. Sa présidente, Meredith Whittaker, ancienne de Google, porte une vision alternative qui défie le capitalisme de surveillance et l’IA basée sur la collecte massive de données personnelles. Elle a accordé une longue interview à Wired. Plongée dans un modèle qui pourrait redéfinir l’avenir de la tech.

Dans un paysage technologique dominé par des géants à but lucratif, Signal se démarque comme une anomalie fascinante. Cette application de messagerie sécurisée, qui fête ses 10 ans d’existence, prouve qu’il est possible de créer une technologie de pointe sans compromettre la vie privée des utilisateurs ni succomber aux sirènes du capitalisme de surveillance. (voir « Quelles sont les différences entre Telegram et Signal?« )

Meredith Whittaker, présidente de Signal depuis 2022, incarne parfaitement cette vision alternative. Son parcours atypique – de Google à la tête d’une organisation à but non lucratif – illustre une prise de conscience grandissante des dérives du modèle économique dominant dans la Silicon Valley, notamment en ce qui concerne l’interrelation entre la surveillance massive et l’intelligence artificielle (IA).

L’IA et la surveillance : un cercle vicieux

Whittaker souligne que l’IA, dans sa forme actuelle, est profondément enracinée dans le modèle économique de surveillance de masse. Elle n’est pas un phénomène technologique distinct, mais plutôt le produit d’un système qui collecte et exploite des quantités massives de données personnelles. Cette synergie entre IA et surveillance crée un cercle vicieux : les données de surveillance alimentent les systèmes d’IA, qui à leur tour sont utilisés pour affiner et étendre les capacités de surveillance.

Le statut non lucratif : une nécessité structurelle

Le choix du statut non lucratif pour Signal n’est donc pas anodin. Il s’agit d’une nécessité structurelle pour maintenir l’intégrité de la mission de l’entreprise. Dans un secteur où les profits sont générés par la monétisation de la surveillance ou la fourniture de services à ceux qui le font, il n’existe tout simplement pas de modèle économique viable pour la protection de la vie privée sur Internet.

Une entreprise performante malgré tout

Ce statut permet à Signal de résister aux pressions qui poussent inévitablement les entreprises à but lucratif à compromettre leurs principes. Pas de conseil d’administration exigeant une stratégie d’IA pour augmenter les profits, pas de pression pour collecter des métadonnées afin d’atteindre des objectifs de croissance. Signal peut ainsi rester fidèle à sa mission première : fournir une communication sécurisée et privée à ses utilisateurs, sans contribuer à l’écosystème de surveillance qui alimente l’IA actuelle.

Signal comme catalyseur de changement

Mais ce modèle non-profit ne signifie pas pour autant que Signal fonctionne avec des bouts de ficelle. L’entreprise paie ses ingénieurs à des niveaux comparables à ceux de la Silicon Valley, reconnaissant la nécessité d’attirer des talents de haut niveau pour maintenir une infrastructure critique. C’est un équilibre délicat entre les valeurs d’une organisation à but non lucratif et les exigences d’une entreprise technologique de pointe.

Le succès de Signal – avec des centaines de millions d’utilisateurs et une influence qui s’étend bien au-delà de sa base d’utilisateurs directe – démontre la viabilité de ce modèle alternatif. Mais Whittaker ne se contente pas de gérer Signal. Elle voit l’entreprise comme un catalyseur pour un changement plus large dans l’industrie technologique, notamment en ce qui concerne la relation entre IA et surveillance.

Vers un nouvel écosystème technologique

Son ambition est de créer un écosystème florissant d’acteurs indépendants qui innovent véritablement, plutôt que de simplement fournir une infrastructure de démarrage financiarisable destinée à être acquise par les géants de la technologie. Elle envisage un paysage technologique beaucoup plus hétérogène, avec de nombreuses options préservant la vie privée et remettant en question le paradigme dominant de l’IA basée sur la surveillance.

Cependant, Whittaker reconnaît les défis inhérents à cette vision. Le modèle dominant du Big Tech bénéficie d’une hégémonie quasi monopolistique, d’un verrouillage des utilisateurs et d’un abandon de l’État qui ont jusqu’à présent empêché l’émergence d’alternatives viables. Le succès de Signal est en partie dû à des circonstances historiques contingentes et à l’implication d’individus exceptionnellement talentueux et dévoués.

La demande d’alternatives n’a jamais été aussi importante

Pour que ce modèle alternatif se généralise, Whittaker souligne la nécessité d’un soutien financier et structurel significatif. Elle travaille activement à la création de mécanismes de soutien et de dotations capables de soutenir une technologie à forte intensité de capital sans recourir au modèle économique de la surveillance. Cela implique de repenser non seulement la façon dont nous développons la technologie, mais aussi comment nous concevons et déployons l’IA de manière éthique et respectueuse de la vie privée.

L’exemple de Signal prouve qu’une autre voie est possible pour la technologie, une voie qui ne dépend pas de la collecte massive de données personnelles pour alimenter des systèmes d’IA toujours plus invasifs. Dans un contexte où la méfiance envers les géants de la technologie n’a jamais été aussi forte, la demande d’alternatives n’a jamais été aussi importante. Le défi consiste maintenant à traduire cette demande en un changement concret et durable dans la façon dont nous concevons, développons et utilisons la technologie.

Conclusion : Un exemple puissant pour l’avenir de la tech

Le modèle non-profit de Signal n’est peut-être pas une solution universelle aux problèmes de l’industrie technologique, mais il offre un exemple puissant et une source d’inspiration. Il démontre qu’il est possible de créer une technologie qui respecte véritablement ses utilisateurs, tout en restant à la pointe de l’innovation, sans pour autant contribuer à l’expansion de la surveillance massive et de l’IA qui en dépend. Alors que nous naviguons dans les eaux troubles de l’ère numérique, des exemples comme Signal nous rappellent que nous avons le pouvoir de façonner la technologie selon nos valeurs, plutôt que de laisser la technologie façonner notre société sans notre consentement.


Quelles sont les différences entre Telegram et Signal ?

Telegram et Signal sont deux applications de messagerie populaires qui mettent l’accent sur la confidentialité et la sécurité, mais elles diffèrent sur plusieurs aspects clés :

1. Chiffrement

  • Telegram : Telegram utilise le chiffrement pour les messages, mais seulement dans les « chats secrets ». Les discussions standards (non secrètes) sont stockées sur les serveurs de Telegram et ne sont pas chiffrées de bout en bout. Le chiffrement de bout en bout n’est actif que dans les conversations privées que l’utilisateur démarre manuellement.
  • Signal : Signal applique le chiffrement de bout en bout à tous les messages et appels, sans exception. Cela signifie que seuls l’expéditeur et le destinataire peuvent lire les messages.

2. Stockage des données

  • Telegram : Telegram stocke les messages par défaut dans le cloud, ce qui permet aux utilisateurs de synchroniser leurs conversations sur plusieurs appareils. Cela rend Telegram pratique pour accéder à ses discussions depuis différents appareils, mais soulève des préoccupations en termes de confidentialité, car les messages sont stockés sur leurs serveurs.
  • Signal : Signal ne stocke aucun message sur ses serveurs, à l’exception de ceux qui ne peuvent pas être livrés immédiatement. Tous les messages sont stockés localement sur les appareils des utilisateurs, et la synchronisation entre appareils est limitée.

3. Fonctionnalités

  • Telegram : Telegram offre de nombreuses fonctionnalités avancées comme les groupes massifs, les chaînes publiques, les bots, les stickers, et la personnalisation via des API ouvertes. Il se concentre autant sur les communautés et les discussions publiques que sur la messagerie privée.
  • Signal : Signal est principalement axé sur la messagerie privée et la confidentialité. Il offre moins de fonctionnalités avancées par rapport à Telegram. Il dispose de messages temporaires, d’appels vidéo et audio, mais se concentre principalement sur la sécurité et la simplicité.

4. Code source

  • Telegram : Le code source du client Telegram est partiellement open-source, mais son code serveur est propriétaire. Cela signifie que la communauté peut auditer une partie de l’application, mais le fonctionnement de leurs serveurs reste inconnu.
  • Signal : Signal est totalement open-source (code client et serveur), ce qui permet aux experts en sécurité d’auditer l’ensemble de son fonctionnement pour s’assurer qu’il est bien sécurisé.

5. Gestion des métadonnées

  • Telegram : Telegram collecte des métadonnées comme l’adresse IP, le type d’appareil, les numéros de téléphone, et stocke ces informations sur ses serveurs.
  • Signal : Signal minimise la collecte de métadonnées. L’application enregistre uniquement le numéro de téléphone de l’utilisateur et l’heure de dernière connexion, mais elle n’a pas accès aux détails des contacts ou à d’autres informations sensibles.

6. Popularité et communauté

  • Telegram : Telegram est plus populaire que Signal et est utilisé pour une grande variété de groupes publics et communautés en raison de sa capacité à gérer de grands groupes et des chaînes avec un grand nombre d’abonnés.
  • Signal : Signal est souvent favorisé par ceux qui accordent une grande importance à la confidentialité. Il est particulièrement recommandé par des experts en sécurité comme Edward Snowden.

En résumé :

  • Telegram est plus flexible et riche en fonctionnalités, avec un modèle de stockage dans le cloud et des chats non systématiquement chiffrés de bout en bout.
  • Signal se concentre uniquement sur la confidentialité et la sécurité, avec un chiffrement de bout en bout pour toutes les conversations et une politique stricte de non-collecte des données.