Famine au Soudan : Utilisation de la nourriture comme arme de guerre

Source: The Guardian Amnesty International et HRW

Le Soudan est plongé dans une crise humanitaire d’une gravité exceptionnelle, marquée par une famine qui pourrait devenir la plus meurtrière au monde depuis celle survenue en Éthiopie il y a 40 ans. Les affrontements entre l’armée soudanaise (SAF) et les Forces de soutien rapide (RSF) exacerbent cette catastrophe, les deux factions utilisant l’accès à la nourriture comme une arme de guerre. Cette situation a poussé les responsables américains à lancer un appel urgent à la communauté internationale pour une intervention immédiate et efficace.

Contexte et escalade du conflit

Depuis avril 2023, le Soudan est en proie à une guerre civile déclenchée par une lutte de pouvoir entre deux généraux rivaux : Abdel Fattah al-Burhan, dirigeant de facto du pays et chef de la SAF, et Mohamed Hamdan Dagalo, alias Hemedti, à la tête des RSF. Ce conflit a déjà causé la mort de 14 000 personnes et forcé 10 millions de Soudanais à fuir leur domicile. El Fasher, capitale du Nord Darfour et ancien centre humanitaire, est actuellement assiégée par les RSF, exacerbant les souffrances de la population locale.

L’ampleur de la crise humanitaire

La situation au Soudan est décrite comme la pire crise humanitaire au monde, avec des millions de personnes au bord de la famine. Malgré l’urgence, l’appel humanitaire de l’ONU pour le Soudan n’a reçu que 16 % des fonds nécessaires. Samantha Power, directrice de l’Agence américaine pour le développement international (USAID), a mis en garde contre les conséquences catastrophiques si El Fasher tombait aux mains des RSF, soulignant les atrocités commises par cette force paramilitaire, en grande partie issue des milices Janjaweed, tristement célèbres pour le génocide du Darfour entre 2003 et 2005.

Utilisation de la nourriture comme arme de guerre

Les deux camps sont accusés d’utiliser l’accès à la nourriture comme un moyen de pression. Les RSF pillent systématiquement les entrepôts humanitaires, volent de la nourriture et du bétail, et détruisent les infrastructures vitales. De leur côté, les SAF ferment l’accès transfrontalier depuis le Tchad, crucial pour l’acheminement de l’aide humanitaire vers le Darfour. Power a dénoncé cette obstruction délibérée, affirmant que c’est cette entrave, plus que le manque de nourriture, qui est à l’origine des niveaux historiques de famine au Soudan.

Comparaison avec les famines passées

Les experts craignent que la famine au Soudan ne devienne pire que celle de 2011 en Somalie, qui a tué un quart de million de personnes, et même plus dévastatrice que la famine en Éthiopie des années 1980, qui a causé la mort d’un million de personnes. Les projections actuelles estiment que plus de 2,5 millions de Soudanais, soit environ 15 % de la population des régions les plus touchées du Darfour et du Kordofan, pourraient mourir d’ici la fin septembre.

Réaction internationale et double standard

L’aide humanitaire est constamment entravée par les hostilités, tandis que les flux d’armes vers les belligérants continuent. Les SAF reçoivent des armes de Russie et d’Iran, et les RSF sont soutenues par les Émirats arabes unis (EAU). Washington a tenté d’engager un dialogue avec les EAU sur cette question, mais les efforts restent insuffisants. Parallèlement, les États-Unis sont critiqués pour leur hypocrisie, appelant à l’arrêt des livraisons d’armes au Soudan tout en continuant à armer Israël dans le conflit à Gaza.

Le traitement des réfugiés soudanais en Égypte

Les autorités égyptiennes doivent immédiatement mettre fin aux arrestations arbitraires massives et aux expulsions illégales de réfugiés soudanais ayant franchi la frontière pour se mettre en sécurité en Égypte en raison du conflit en cours au Soudan, a déclaré Amnesty International. Un rapport intitulé “Handcuffed like dangerous criminals” : Arbitrary detention and forced returns of Sudanese refugees in Egypt, révèle que des réfugiés soudanais sont rassemblés et illégalement expulsés vers le Soudan en l’absence de toute procédure régulière et de toute possibilité de demander l’asile, ce qui porte atteinte au droit international de manière flagrante. Des éléments de preuve indiquent que des milliers de réfugiés soudanais ont été arrêtés arbitrairement, puis expulsés collectivement ; le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) estime que 3 000 personnes ont été expulsées d’Égypte vers le Soudan pour le seul mois de septembre 2023.

« Il est incompréhensible que des femmes, des hommes et des enfants soudanais fuyant le conflit armé dans leur pays et cherchant la sécurité de l’autre côté de la frontière égyptienne soient arrêtés en masse et détenus arbitrairement dans des conditions déplorables et inhumaines avant d’être expulsés illégalement », a déclaré Sara Hashash, directrice régionale adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International. Elle insiste sur le fait que les autorités égyptiennes doivent immédiatement mettre un terme à cette campagne virulente d’arrestations massives et d’expulsions collectives.

Le rapport décrit en détail les épreuves subies par 27 réfugiés soudanais soumis à des arrestations arbitraires, en compagnie de quelque 260 autres personnes entre octobre 2023 et mars 2024. Il révèle en outre que les autorités ont renvoyé de force au moins 800 détenus soudanais entre janvier et mars 2024, qui se sont tous vu refuser la possibilité de demander l’asile, y compris en s’adressant au HCR, ou de contester les décisions d’expulsion.

L’Union Européenne et la coopération avec l’Égypte

Cette situation se déroule également sur fond de renforcement de la coopération de l’Union européenne avec l’Égypte en matière de migration et de contrôle des frontières, malgré le sinistre bilan de ce pays sur le terrain des droits humains et les violations avérées contre les migrants et les réfugiés. En octobre 2022, l’UE et l’Égypte ont signé un accord de coopération de 80 millions d’euros, visant notamment à renforcer les capacités des gardes-frontières égyptiens. Le nouveau rapport d’Amnesty International met pourtant en évidence l’implication des gardes-frontières dans des violations contre des réfugiés soudanais.

Sara Hashash souligne que, « En coopérant avec l’Égypte dans le domaine de la migration, sans garanties rigoureuses en matière de droits humains, l’UE risque de se rendre complice des violations des droits humains commises par l’Égypte ». Elle appelle l’UE à faire pression sur les autorités égyptiennes pour qu’elles adoptent des mesures concrètes afin de protéger les réfugiés et les migrants.

Conclusion

La crise humanitaire au Soudan est une tragédie de grande ampleur nécessitant une action immédiate et concertée de la communauté internationale. Les blocages de l’aide humanitaire, l’utilisation de la nourriture comme arme et le flux constant d’armes alimentent un cycle de violence et de souffrance. De plus, le traitement des réfugiés soudanais par les autorités égyptiennes ajoute une couche de gravité à cette situation déjà désespérée. Il est impératif que le monde prenne conscience de cette catastrophe imminente et agisse pour éviter une famine d’une ampleur historique et pour assurer la protection des réfugiés soudanais en quête de sécurité.